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Points de vue

Après la chute d'Alep, que reste-t-il de la révolution syrienne ?

Rédigé par Jonathan Piron | Vendredi 23 Décembre 2016 à 11:50

           


Après la chute d'Alep, que reste-t-il de la révolution syrienne ?
La reprise d'Alep par les forces soutenant le président Bachar al-Assad soulève de nombreux débats quant au conflit syrien et son évolution future. Célébrée par certains, condamnée par d'autres, ce qui est présenté comme une victoire du régime soulève plus de questions qu'elle n'en résout. Une prise de recul est inévitable pour mieux décoder cet événement. Mieux appréhender le drame syrien impose de comprendre ce qu'est la Syrie des Assad, depuis Hafez jusqu'à son fils, Bachar.

Une culture de la peur profondément ancrée

Une grande partie du public européen oublie que la violence fait partie du projet politique syrien. L'histoire du régime est à lire autour d'une institution de la répression. C'est le sociologue français Michel Seurat qui fut le premier à démontrer le caractère répressif inhérent au régime syrien. Les Assad, comme d'autres dictateurs au pouvoir, pensent non pas au sens de l’État mais au sens du régime, qu’il est nécessaire de maintenir quitte à brader l’État. La moindre réforme est ainsi vue comme mettant l'avenir du régime en danger. La fusion de l'appareil sécuritaire avec l'appareil d'État entraîne, en ce sens, une culture de la peur, destinée à empêcher toute contestation.

Doublée d'une instrumentalisation des minorités aussi bien ethniques que confessionnelles, cette culture de la peur a longtemps dominé le peuple syrien. Enfermé dans cette logique de domination, le régime n’a dès lors eu plus besoin de se soucier de son peuple, étant tenu en apesanteur face à celui-ci en raison d’intérêts positifs et négatifs.

Une contestation populaire brutalement réprimée

Différentes insurrections et contestations ont, par le passé, tenté de transformer le système en place, à chaque fois en vain. Aussi bien dans les années 1980 que 2000, la logique sécuritaire aura à chaque fois repris le dessus, la moindre ouverture étant considérée comme une menace existentielle. Le Printemps de Damas, à savoir une volonté de modernisation du système politique en 2000, pourtant proposée par le pouvoir, n'aura duré que huit mois. Il faut attendre 2011 pour voir éclater un phénomène nouveau. À la différence des révoltes et contestations précédentes, les événements liés au Printemps arabe se placent dans une perspective originale. L’initiative de la contestation ne provient plus d'une élite ou d'une organisation instituée. Elle se réalisé essentiellement via un mouvement populaire souhaitant dépasser les clivages en place.

Dès les premières manifestations, c'est d'ailleurs le slogan « Un, un, un ! Le peuple est un ! » (« Wâhed, Wâhed, Wâhed ! Ach-cha’b as-sûri wâhed ! ») qui est mis en avant par les contestataires. L'origine sociale et politique du premier groupe des opposants au régime est ici fondamentale pour mieux comprendre la situation actuelle. Les personnes qui font la révolution en 2011 sont souvent des jeunes parents trentenaires. Ils font la révolution non seulement pour eux mais aussi pour leurs enfants, cherchant à leur montrer qu’ils ont tenté « autre chose » plutôt que de subir le système en place, tout en sachant qu’il était difficilement réformable.

Après la chute d'Alep, que reste-t-il de la révolution syrienne ?
La brutalisation du régime aura repris le dessus au-delà de ce que certains opposants imaginaient. Pour Assad, il ne s’agit plus de massacrer les révolutionnaires, comme plusieurs rapports internationaux l'ont rapporté, mais de marquer les esprits à un point tel que l’idée même de liberté, à l’avenir, sera durement ressentie par la population. Le déchaînement de violence du régime s’explique par la volonté d’imprimer au fer rouge le refus de toute alternative.

Cette état de fait n'est pas inédit, comme le prouvent l'exemple de Hama, au début des années 1980. La reprise d'Alep ne se base d'ailleurs pas seulement sur une nécessité stratégique, à savoir priver les forces rebelles d'une ville importante. Il s'agit aussi d'écraser les réalisations politiques autonomes, qui y ont entraîné une repolitisation par le bas : c'est à Alep que les premiers éléments de gouvernance en-dehors du régime se sont mis en place. Conseils municipaux, gestion de l’accès à l’habitat, gestion des déchets, réforme de l'enseignement, droit des femmes... autant d'outils démontrant la possibilité, pour les Syriens, de pouvoir s'organiser et se prendre en main de manière autonome.

Cette volonté d'émancipation, qui est d'ailleurs tout aussi intolérable pour les groupes jihadistes, n'a pas été perçue en Occident. Et son écrasement, paradoxalement, fait le lit dudit jihadisme, qui cherche à se profiler comme seul mouvement capable de protéger les populations opprimées, avec les dangers que l'on sait. Le regroupement, opportuniste ou accepté, des différents mouvements de l'opposition armée sous la bannière des mouvements jihadistes n'est plus une impossibilité.

Il nous faut adapter notre regard sur le Moyen-Orient

Quels constats en tirer ? Presque six ans après le début des révoltes, l'espace dit occidental doit reconnaître qu'il n'a pas compris le sens et la portée des insurrections du printemps arabe. Premièrement, le monde occidental projette sa propre grille de lecture des événements en cours, avec l’étiquetage pour norme. Cet étiquetage prive les Syriens à la fois de leur révolution et de leur guerre civile. L'individu, le Syrien n'existe plus. C'est une projection qui refuse la confrontation directe avec ce qui se passe sur place, c'est-à-dire une compréhension du conflit dans son originalité et dans ses particularismes. Les outils utilisés pour cette lecture sont d'ailleurs le plus souvent dépassés.

Nous sommes confrontés, ici, un changement de système, que nous devons accepter : le monde change et les repères aussi. Ce n'est plus seulement en termes de « puissance » ou de « géopolitique » que nous devons appréhender le Moyen-Orient, mais aussi en termes de flux, de sociologie des relations internationales et des réseaux locaux. Le Moyen-Orient d'avant 2011 n'existe plus et n'existera plus. Nous devons comprendre cela et adapter notre regard. Sinon, comme nous n'avons pas compris ce qui vient de se passer, nous ne comprendrons pas ce qui arrivera.

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Historien et politologue, Jonathan Piron est conseiller pour Etopia, centre de recherche basé à Bruxelles, où il se consacre à l'étude et à l'analyse du Moyen-Orient.





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